mardi 27 octobre 2009

La bande dessinée, vive la crise ?

« L'état de la bande dessinée : vive la crise ? », tel était l'intitulé de l'université d’été de la bande dessinée de l'été 2008.
La bande dessinée connaît-elle actuellement une crise ?
Non pas une crise au sens économique du terme ; sur ce sujet on peut toujours se reporter aux rapports annuels de Gilles Ratier pour le compte de l'association des critiques et journalistes de bande dessinée, très documentés.
Non, plutôt une crise de création.

Si je veux schématiser très grossièrement, mon impression est que la bande dessinée francophone passe par des périodes successives de richesse créatrice et de repli artistique d'une dizaine d'années chacunes, au moins depuis les années 1950. Aux années de renouvellement des formes et des sujets, de création de nouvelles structures souhaitant publier des types de livres n'existant pas encore, succèdent des périodes de repli : l'innovation s'essouffle, les aspects les plus facilement assimilables des innovations de la décennie précédentes sont récupérées par les plus grands éditeurs.
Depuis 2000 environ, j'ai l'impression que la bande dessinée francophone se situe dans un de ces creux...

Mais reprenons en arrière...

La bande dessinée francophone 'classique' connaît son âge d'or dans les années 1950 (ou à partir de la fin des années 1940, avec la création du Journal de Tintin et le début de Blake et Mortimer, la reprise de Spirou par Franquin et les premiers pas de Lucky Luke, etc.). Le style franco-belge classique se définit alors en deux écoles, Marcinelle d'un côté, Charleroi de l'autre. Quelques années après les plus grands auteurs, Hergé, Franquin, Jacobs, espacent leurs publications ; de nombreux auteurs, souvent talentueux, mais moins originaux, leur empruntent leur style, leur emboîtent le pas et remplissent progressivement à leurs places, devenues de plus en plus souvent vacantes, les pages des magazines Spirou et Tintin.

Dans les années 1970, c'est l'explosion. Cela a débuté sous la conduite bienveillante et éclairée de René Goscinny dans les pages de Pilote vers 1966-1968, puis les auteurs de ce (Mâtin quel) journal ont essaimé, partant fonder l'Écho des Savanes ou autre Métal Hurlant. Forest évoluait, un peu en avance, en parallèle, comme l'électron libre qu'il a été tout au long de sa carrière. Période de foisonnement, de défrichement inouïs. En quelques années, en quelques chefs-d'oeuvre, on quittait la bande dessinée francophone traditionnelle pour atterir dans les bandes psychanalytiques de Gotlib ou de Mandryka, la SF érotique de Forest (même si relire Barbarella aujourd'hui, maintenant que son aspect érotique apparaît plutôt bon enfant, permet de se rendre compte que l'immense talent de cet auteur était très loin de se résumer à son aspect gentiment polisson), l'humour nonsensique de Masse, les délires sous acide de Moebius, les critiques sociales de Brétécher ou Lauzier...

Le soufflé est malheureusement vite retombé.

Les années 1980 voit la récupération de ces mouvements au profit de bandes plus calibrées. Certes, À Suivre a continué à parcourir certaines des voies ouvertes par ces pionniers : récit de longueur variable, non exclusivité de la couleur, et ouvert notamment ses pages aux derniers chefs-d'oeuvre de Forest ou aux récits au long court d'Hugo Pratt... Mais il s'agissait cependant le plus souvent d'une version relativement soft, un peu aseptisée, en tout cas sans réelle innovation (ce qui n'interdisait à certaines des œuvres publiées d'être de grande qualité). Cette décennie 1980 fut majoritairement marquée par le fameux 48CC (48 pages cartonné couleurs) tant vilipendé par Jean-Christophe Menu.

Au début des années 1990 vint l'émergence de la bande dessinée dite « indépendante ». Sur les ruines encore fumantes du regretté Futuropolis, l'hydre de l'Association permet aux six mousquetaires qui la composent de publier des récits refusés partout ailleurs : strips répétitivo-métaphysiques de Trondheim et Menu, cauchemars de David B, autobiographies familiale de Menu et schizophrénique de Mattt Konture. Cornélius publie des 'comics' de Jean-Christophe Menu, Blutch, David B ou Lewis Trondheim. D'Angoulême, Ego comme X révèle Fabrice Neaud, Xavier Mussat et leur autobiographie sans concession. Freon et Amok repousse les formes de la bande dessinée, aux franges de l'art contemporain. Tout cela ne ressemble à (presque) rien de ce qui se faisait à l'époque, que ce soit au niveau des formats (tailles variées, noir et blanc, pagination libre) qu'en termes de sujets. Pendant un peu moins de 10 ans, jusqu'à l'aube du 21e siècle, la bande dessinée francophone connaît une des périodes les plus riches de son histoire.
Puis la nouveauté s'essouffle. Les grands éditeurs récupèrent la part la plus vendable de cette nouvelle vague (d'Écriture en Futuropolis ressuscité), ne laissant aux petits éditeurs que les récits les plus exigeants. Les folles audaces deviennent procédés répétitifs, un peu chez les grands auteurs des années 1990, beaucoup chez leurs très nombreux épigones plus tard venus, d'innombrables récits autobiographiques en blogs redondants.
Quoi de vraiment neuf depuis l'an 2000 ? Quels auteurs sont vraiment allés plus loin que le Journal de Fabrice Neaud, le Livret de Phamille de Jean-Cristophe Menu, le Portrait de Baudoin, l'Ascension du Haut Mal de David B, le Journal d'un album de Dupuy et Berbérian ou Conte démoniaque d'Aristophane ? Personnellement, je n'en vois pas.

Je me trompe peut-être ; je souhaite me tromper. Il est tout à fait possible que de jeunes auteurs très talentueux publient actuellement leurs premiers ouvrages et que je ne les ai pas remarqués. Si c'est le cas, si vous en connaissez, dites-le moi ! En tout cas, bonne chance à eux !

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