jeudi 12 novembre 2009

Asterios Polyp (2009), ou l'ascèse élevée au rang des beaux arts


David Mazzucchelli n'est pas un auteur de comics très prolifique. Il est surtout connu pour quelques comics de superhéros sur scénarios de Frank Miller publiés dans les années 1980 (Daredevil puis Batman). Après Batman: Year One en 1987, il abandonne les superhéros et les comics mainstream pour se consacrer à des projets plus personnels : l'adaptation du City of Glass de Paul Auster en 1994 et quelques récits courts, regroupés en France par Cornélius en trois recueils (La Soif et La Géométrie de l'obsession en 1997, Big man en 1998). J'avais lu ces derniers livres avec un certain respect, de l'admiration pour leur grande exigence artistique, mais, avouons-le, sans enthousiasme particulier. C'était avant Asterios Polyp...


Durant l'été 2009, je tombe par hasard sur ce livre au titre énigmatique (dans l'excellente librairie parisienne Superhéros, que je ne saurai trop vous conseiller), publié par Pantheon, et j'en feuillette quelques pages. Ce fut immédiatement un réel choc et je ne tardai pas à l'acheter.

Je ne l'ai pas regretté : cet album est véritablement magistral.

Depuis Daredevil: Born again, David Mazzucchelli a tendance à évoluer vers un style de plus en plus épuré, limitant les effets de style au minimum strictement utile. Dans Asterios Polyp il ne cherche nullement à saturer la page, ni de couleurs, ni de traits, bien au contraire. Certes, alors que la plupart de ses travaux depuis qu'il a arrêté le mainstream étaient en noir en blanc, cet album est en couleurs ; mais l'usage de la couleur est parcimonieux : on en reste aux couleurs primaires, bleu, jaune et rouge. Le trait est le plus souvent très économe. Et, surtout, David Mazzucchelli utilise avec beaucoup d'art le blanc de la planche : ses mises en page sont très aérées, les cases ou les dessins sont parfois isolés au milieu de la surface vierge des pages.

David Mazzucchelli simplifie ses moyens de façon radicale. Nul effet gratuit chez lui. Il revient aux aspects les plus basiques de la bande dessinée : le blanc de la page et la position des dessins sur cette surface vierge, un trait épuré, trois couleurs posées en aplats. Et de ces moyens extrêmement simples, il tire le maximum d'effets, à la fois au niveau esthétiques qu'au niveau de l'efficacité de la narration.

Lorsque je l'avais feuilleté pour la première fois, c'est surtout l'aspect esthétique qui m'avait marqué : ces traits épars, ces couleurs rares dégagent une beauté plus familière des amateurs de design contemporain que de des fans de bande dessinée mainstream.

En lisant attentivement cet album j'ai pu en outre apprécié à quel point ces moyens étaient également magistralement mis au service de la narration. Chaque couleur représente soit un personnage, soit une époque du récit. La différence de tempérament des deux personnages principaux (un couple) est représentée visuellement par des jeux de formes et de couleurs : le monde de la femme, introvertie, sculpteur attentive au contact sensible avec la matière, est tout en rondeur et rouge ; celui de l'homme, sûr de lui, architecte cartésien, est bleue et tout en angle. Complètement opposées lorsque ces deux personnages sont en désaccord, ces visions fusionnent plus ou moins lorsqu'ils sont en phase. A partir d'une grammaire narrative très simple, David Mazzucchelli explore toute une série de nuances, mises au service d'un récit riche et d'une grande sensibilité.

Enfin, à la manière d'un Chris Ware par exemple, David Mazzucchelli a parfaitement soigné le design de ce livre, si bien que celui-ci en tant qu'objet est parfaitement adapté au contenant (format, couverture, jaquette...).

Bref, un livre exceptionnel, que je ne saurai trop vous conseiller.

(Je viens d'apprendre c'est Casterman qui se chargera de l'adaptation en français de cet ouvrage... Si Casterman massacre cette adaptation avec son savoir faire habituel, je plains les personnes qui liront ce livre en français... En espérant toutefois qu'ils n'oseront pas tout de même pas publier ce livre dans l'atroce collection Écritures.)

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