jeudi 29 avril 2010

"My name is Khan, and I'm not a terrorist"

Un des plus grands succès à Bollywood cette année est marquant à plus d'un titre. My name is Khan, en plus d'être un excellent film bollywoodien (acteurs fantastiques, mélo à souhait, musique excellente), aborde en effet un sujet qui est au cœur de l'Inde contemporaine depuis 1947 et de plus en plus prégnant dans le reste du monde : la cohabitation entre les différentes communautés religieuses et plus précisément entre l'Islam et les autre religions.

Pour les fans, il réunit pour la première fois depuis 2001 le couple le plus glamour de Bollywood, Kajol et Shahrukh Khan. Ceux-ci, comme d'habitude, crèvent l'écran dans ce mélo qui conte une histoire d'amour contrariée par l'Histoire récente des États-Unis.

En effet le thème principal du récit est l'ostracisme que subissent les musulmans, aux États-Unis notamment, depuis les attentats du 11 septembre. Pour un Indien, ce sujet a une double résonance : Shahrukh Khan joue un musulman indien implanté aux États-Unis et amoureux d'une hindoue ; il doit à la fois surmonter la barrière entre hindous et musulmans en Inde et les craintes des Américains envers ces musulmans, tous considérés comme terroristes potentiels (d'où le titre de mon message, constituant l'une des premières phrases du film).

Le tout est d'autant plus marquant que la réalité a rejoint la fiction. L'auteur principal, Shahrukh Khan, plus grande star de Bollywood, est lui-même musulman (comme son nom, Khan, typiquement musulman, l'indique ; il avait d'ailleurs déjà joué, dans Chak de India, un musulman rejeté par tous parce qu'il était soupçonné, à cause de sa religion, d'avoir favorisé la victoire du Pakistan lors d'un match Inde-Pakistan). Or en 2009, considéré comme suspect sur la seule base de son nom, connoté musulman, il a été interrogé par la police pendant plus d'une heure à sa descente d'avion aux États-Unis...

mercredi 28 avril 2010

Jean-Claude Forest, hommage à un pionnier

À l'occasion du festival d'Angoulême, de nombreux magazines ont sorti leur hors-série annuel sur la bande dessinée. Cette année l'un d'entre eux laissait la parole à des auteurs célèbres qui devaient citer leurs albums préférés. J'ai été très agréablement surpris de découvrir Jean-Claude Forest parmi les auteurs les plus cités.

Il s'agit en effet d'un des auteurs les plus intéressants et les plus novateurs de la bande dessinée francophone des années 1960 à 1980 ; il reste malgré cela peu connu, ou mal connu : on se souvient trop souvent de lui seulement comme le 'père' de la bande dessinée érotique francophone, avec Barbarella.

C'est extrêmement réducteur. Il se fit certes connaître en mettant en scène en 1964 cette aventurière de l'espace prompte à se déshabiller. Mais dans ses albums suivants (publiés en 1974, 1977 et 1982) il eut tendance à faire passer au second plan cet aspect érotique (qui apparaît aujourd'hui bien léger, lorsqu'on le compare à une très grande partie de la production actuelle...) pour éviter de se faire enfermer sous une quelconque étiquette.

À l'époque, la bande dessinée francophone se résumait quasiment exclusivement à des récits d'aventures linéaires destinés principalement à des enfants ou à des jeunes garçons (7-17 ans) et publiés dans des séries dans fin. Jean-Claude Forest, avec ses scénarios complexes, aux textes très écrits, destinés à un public adulte, était alors clairement en avance sur son temps. Ses personnages de femmes libérées (Barbarella, Hypocrite ou Cyanure), ni potiches comme dans les récits de l'époque, ni nymphomanes comme dans les bandes dessinées 'pour adultes' qui allaient fleurir dans les années 1970, étaient alors très originales. Il a introduit l'érotisme dans ses histoires, mais comme un ingrédient parmi d'autres, non comme motivation principale du récit. Il soignait particulièrement ses textes, bourrés d'inventions verbales, notamment dans ses récits de science-fiction ; les dialogues et narratifs de La Jonque fantôme vue de l'orchestre (1981), par exemple, me semblent constituer un des plus 'textes', au sens littéraire du terme, de la bande dessinée francophone. Sa faculté d'invention, faisant apparaître à tous les coins de page des monstres prodigieux, des planètes hallucinantes et des personnages pittoresques, le tout courant de rebondissements en rebondissements, fait de ses récits un émerveillement permanent. Il fut l'un des pionniers des 'romans graphiques' du magazine (À Suivre), en noir et blanc et sans limite de pagination, dès le premier numéro de cette revue, qui arborait fièrement en février 1978 sur sa couverture un dessin tiré d'Ici Même, un scénario de Forest dessiné par Tardi.

Mais alors, me direz-vous, pourquoi est-il si méconnu du grand public ? Tout d'abord, il n'a jamais joué le jeu de la série au long cours et au style immuable, exercice pourtant quasiment obligatoire, surtout à l'époque, pour obtenir un succès durable : 4 tomes de Barbarella en près de 20 ans, 4 volumes des Naufragés du temps, avec Gillon (1974-1976), 3 histoires d'Hypocrite (1971-1974)... Peu prolifique (10 albums comme auteur complet et 11 en tant que scénariste, c'est peu en plus de 30 ans), il aimait en outre passer d'un sujet ou d'un style à l'autre. Il a ainsi également écrit un roman et tourné plusieurs films...

Ensuite, il a toujours refusé de se laisser enfermer dans un genre précis : remarqué aux débuts pour l'érotisme de Barbarella, il fit progressivement passer cet aspect au second plan, comme je le disais plus haut.

Enfin ses scénarios, très inventifs, bourrés de trouvailles, ont pu dérouter plus d'un lecteur : peu linéaires, riches en rebondissements tous plus invraisemblables les uns que les autres, ils ont probablement laissé sur les bords de leurs chemins de traverse maints lecteurs peu curieux ou trop formatés...

mardi 20 avril 2010

Aux lecteurs anglophones

Je me dis souvent, sans chauvinisme aucun, que j'ai de la chance d'être un amateur francophone de bande dessinée. En effet, d'après ce que j'en sais, le Français est probablement une des langues vers laquelle le plus de bandes dessinées étrangères sont traduites. La plupart des œuvres majeures de la bande dessinée anglophone ou hispanophone, par exemple, sont traduites en Français. S'il y a encore quelques années on pouvait regretter que l'Éternaute, d'Oesterheld et Lopez, ou Love & Rockets, des frères Hernandez, soient inaccessibles au public francophone, ce n'est maintenant plus le cas grâce à quelques éditeurs audacieux. Certes on peut encore déplorer l'absence d'édition française disponible de Krazy Kat (mais l'usage si poétique du sabir anglo-hispano-franco-phonético-krazy est-il vraiment traduisible ?) et de Terry & the pirates (à part les volumes parus chez Futuropolis dans les années 1980, pour l'œuvre de Herriman comme celle de Milton Caniff) ou la non disponibilité des meilleurs Spirit de Will Eisner. Mais dans l'ensemble, les lecteurs francophones sont plutôt gâtés. Si l'on ajoute que le catalogue français de mangas s'enrichit chaque jour, que des éditeurs comme l'Association ou Actes Sud vont chercher des œuvres intéressantes en Europe du Nord comme en Afrique du Sud ou en Israël, nous ne pouvons pas nous plaindre...

Ce qui n'est pas forcément le cas des lecteurs non francophones. D'après ce que j'ai pu en voir au cours de quelques voyages, les lecteurs anglophones, hispanophones, italophones ou germanophones n'ont pas la chance d'avoir à leur disposition un tel corpus d'œuvres traduites.

Prenons par exemple le marché anglo-saxon. Il propose certes l'Ascension du Haut Mal (Epileptic) et, depuis peu, une œuvre de Jean-Claude Forest, Ici Même. Mais, dans l'ensemble, la bande dessinée alternative francophone est davantage représentée par son versant le plus consensuel, de Persepolis de Marjane Satrapi, aux Petits Riens de Lewis Trondheim, que par ses œuvres les plus ambitieuses et les plus riches.

Ainsi les albums de Jean-Claude Forest (à part Ici Même, cité plus haut), de Baudoin ou de Fabrice Neaud, entre beaucoup d'autres, restent inaccessibles au public anglophone.

Pour ne citer que le cas de Fabrice Neaud, on peut noter qu'il n'est pourtant pas complètement inconnu de l'autre côté de l'Atlantique : Je me souviens d'échanges sur le forum Internet du Comics Journal au cours desquels il était régulièrement cité ; en 2002, Bart Beaty, un des plus fins connaisseurs américains de la bande dessinée européenne, lui consacrait 4 pages de sa rubrique 'Euro Comics for beginners' dans le Comics Journal ('Fabrice Neaud: Rewriting Our Standards') ; ce même Bart Beaty vient d'écrire un message dithyrambique dans le webzine de référence The Comics Reporter (voir ici) ; dans ce même webzine, un post donne un lien vers les photos de la dernière exposition de Fabrice Neaud disponible sur mon site Internet.

Pourtant, jusqu'au mois dernier, les lecteurs anglophones devaient se contenter du récit de Fabrice Neaud publié dans la version anglaise du collectif Japon et des mes très modestes essais de traduction disponibles en ligne sur la version anglaise du site consacré à Fabrice Neaud.

La récente mise en ligne en intégralité, sur le site d'Ego comme X, d'une version anglaise d'Émile, un des plus récits les plus riches et les plus bouleversants de Fabrice Neaud n'est en que plus remarquable. Il ne reste plus qu'à espérer que cela donne des idées à quelque éditeur anglophone...

mardi 6 avril 2010

Pourquoi un tel silence sur Renaud Camus ?

Le Monde des livres a dressé, dans une de ses dernières livraisons, un bref panorama des 30 dernières années de littérature française. Il a donné à cette occasion une liste des 30 romans français les plus marquants, à son avis, de ces 30 années.

Et, encore une fois, mais ce n'est plus vraiment une surprise, aucune mention de Renaud Camus. Comme à chaque fois dans ce type d'occasions, je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi un auteur d'une telle importance, au talent si grand et si original est à ce point ignoré des médias. Ses premiers romans ont fait l'objet de quelques articles notables, notamment grâce à Roland Barthes. Mais, depuis la fin des années 1970, plus rien ou presque, exceptées quelques invitations à des émissions de France Culture.

Pourtant, je suis intimement persuadé qu'il écrit mieux, qu'il est plus profond et plus novateur que la (quasi-)totalité des auteurs français contemporains, en tout cas parmi ceux que j'ai lus.

On peut par exemple le comparer à quelques-uns des auteurs cités par Le Monde des livres. Certes Pascal Quignard ou J.-M.-G. Le Clézio (par respect pour le comité Nobel) sont également deux auteurs de très grand talent. Certes Claude Simon est également un romancier de tout premier ordre, mais il appartient à la génération précédente (on peut noter en passant que les deux seuls auteurs proche du Nouveau Roman cités dans cette liste sont Claude Simon, grâce à son prix Nobel, et Marguerite Duras, grâce au succès public de L'Amant ; ne sont cités ni Alain Robbe-Grillet, qui a pourtant publié au cours des 30 dernières années des chefs-d'œuvre tels que ses Romanesques ou La Reprise, ni Nathalie Sarraute...).

Mais que dire des 27 autres choix du Monde des livres ? J'ai lu avec beaucoup de plaisir la saga des Mallaussène de Daniel Pennac, mais comparer celui-ci à Renaud Camus me paraît grotesque. Philippe Sollers a été relativement innovant à une époque, mais probablement pas plus que Renaud Camus ; en outre son style me semble moins riche et sa superficialité revendiquée ne le rend pas particulièrement intéressant à mes yeux. Michel Houellebecq a publié quelques romans apportant sur nos sociétés modernes un éclairage unique mais son œuvre n'a, pour l'instant, pas du tout l'ampleur de celle de l'auteur des Églogues. Jean-Philippe Toussaint ou Jean Echenoz ont tous deux un réel talent d'écriture, mais peut-être pas suffisamment pour faire de leurs livres de grands chefs-d'œuvre. Et je pourrais continuer la liste ainsi...

Fort de ce constat, j'en reviens à mon interrogation initiale : Pourquoi Renaud Camus est-il ignoré à ce point par les médias ? Comment peut-on expliquer que la quasi-totalité des grands organes de presse respectent un silence presque unanime à la sortie des chefs-d'œuvre de Renaud Camus, de Du Sens à L'Inauguration de la salle de vents en passant par Rannoch Moor et L'Amour l'automne, pour ne citer que quelques titres récents ?


Plusieurs tentatives d'explication me viennent à l'esprit...

Il est souvent trop innovant. Il a commencé sa carrière en publiant les premiers volumes des Églogues, œuvres qui cherchaient notamment à poursuivre certains chemins ouverts par le Nouveau Roman. Or celui-ci a déjà eu beaucoup de mal à se faire un petit peu accepter par la critique (je parle ici de la critique francophone, pas du monde universitaire ou des pays anglo-saxon). Alors vous pensez, un jeune auteur qui écrit des livres encore moins 'lisibles' que Claude Simon, Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet, Marguerite Duras !

Son œuvre est trop polymorphe. Les Églogues étaient des ouvrages difficiles, déroutants. Mais il a probablement été encore plus déroutant, pour un lecteur qui commençait à s'habituer à ces œuvres inclassables, de découvrir que Renaud Camus délassait celles-ci pour publier en 1983 Roman Roi, roman de facture apparemment très classique. Les changements (apparents) de direction ont continué à parsemer la carrière de Renaud Camus, laissant probablement sur le bord du chemin maints lecteurs insuffisamment curieux.

Enfin il est 'réactionnaire', au sens où il regrette souvent le monde d'hier et les mœurs passées. A priori, cela ne semble pas rédhibitoire en littérature. La nostalgie est habituellement un sentiment qui passe très bien en littérature, Les Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand n'en sont pas la moindre preuve. Mais notre société n'accepte plus guère que les chantres du progrès. Et si le succès permet à Houellebecq ou Dantec de sortir du politiquement correct, Renaud Camus, lui, est généralement condamné par tous les biens-pensants sans même avoir été lu...


Heureusement pour les quelques lecteurs fidèles, tous ces déboires n'ont jamais découragé Renaud Camus d'écrire...

Les 20 ans de l'Association

L'Association, un des pionniers de la vague d'éditeurs alternatifs qui ont renouvelé radicalement la bande dessinée francophone dans les années 1990 (avec Ego comme X, Fréon, Amok ou Cornélius), fête ses 20 ans... Que dire à cette occasion qui n'ait été dit au moins 20 fois ?

L'Association est d'abord un éditeur qui a permis de s'exprimer à des auteurs extrêmement talentueux et novateurs qui, à l'époque, après la disparition de Futuropolis, n'avait aucun lieu pour publier leurs travaux... Eh oui, il faut se souvenir qu'au début des années 1990, Lewis Trondheim, Mattt Konture, David B, Stanislas, Jean-Christophe Menu, Joann Sfar ne trouvaient pas d'éditeur leur permettant de publier les albums qu'ils souhaitaient...

L'Association est également un éditeur attaché au patrimoine de la bande dessinée et qui n'hésite pas à rééditer de grands chefs-d'œuvre maintenant épuisés, de Baudoin, Jean-Claude Forest ou Gébé.

L'Asociation est aussi un éditeur qui va chercher des auteurs étrangers, méconnus en France, de Chris Ware à Mahler et de Joe Daly à Mattioli.

Enfin, l'Association est un éditeur qui ose afficher un discours critique ambitieux et non consensuel. Des éditoriaux de la revue Lapin aux phénoménaux (tant par la qualité du propos que par le volume) numéros de l'Éprouvette, cet éditeur a réussi à proposer des textes sur le médium sans concession et d'une rare intelligence.

Certes, Jean-Christophe Menu s'est brouillé avec la plupart des autres fondateurs qui ont arrêté l'aventure et sont maintenant publiés chez des éditeurs aux moyens plus importants. Mais qu'importe si celui-là parvient à maintenir le même niveau d'exigence et de qualité chez cet éditeur hors norme ?

Et, quoi qu'il soit, un éditeur qui, en 20 ans d'existence, a publié (éventuellement réédité) Le Portrait et Le Voyage de Baudoin, les trois Hypocrite de Jean-Claude Forest, Le Journal d'un album de Dupuy et Berbérian, le Livret de Phamille et Chroniques du Mont Vérité de Jean-Christophe Menu, L'Ascension du Haut-Mal et Les Incidents de la nuit de David B, Moins d'un quart d'heure pour vivre de Lewis Trondheim et Jean-Christophe Menu, Auto-psy d'un mort-vivant et Les Contures de Mattt Konture, Conte Démoniaque d'Aristophane, Quimby the mouse de Chris Ware, Une plume pour Clovis de Gébé, Le Tricheur de Ruppert et Mulot, Pat Boon de Winschluss, La Guerre d'Alan d'Emmanuel Guibert, Mon mignon, laisse moi te claquer les fesses de Lucas Méthé, La route des Monterias de Vanoli, a d'excellentes raisons d'être extrêmement fier du travail accompli.

Il ne me reste plus qu'à souhaiter à l'Association que les 20 prochaines années soient aussi riches et réussies que les 20 dernières...