jeudi 13 janvier 2011

Jean-Luc Godard et François Truffaut

Deux de la Vague, documentaire sur l'amitié interrompue de François Truffaut et Jean-Luc Godard, est sorti sur les écrans mercredi. Je ne l'ai pas vu mais je saisis l'occasion pour aborder brièvement et subjectivement l'œuvre de ces deux cinéastes...

François Truffaut et Jean-Luc Godard ont mené une (petite) partie de leur carrière cinématographique ensemble. Mais leurs chemins artistiques ont si rapidement et si complètement divergé que je m'amuse toujours de les voir rassemblés, encore un demi-siècle après, sous la dénomination de "Nouvelle vague".

Critique aux Cahiers du cinéma, François Truffaut avait la dent dure contre les cinéastes français alors célèbres, représentants d'une certaine "qualité française". Quelques années plus tard, ses films avaient la plupart des caractéristiques de ce type de cinéma : des films aux intrigues habilement construites et aux dialogues bien écrits, aux costumes et aux décors soignés, à la photographie sage et esthétique. Bien sûr, le cinéma de Truffaut était beaucoup plus une œuvre d'auteur que de studio.

Ce qui m'a le plus marqué en lisant Le Cinéma selon François Truffaut, c'est sa grande peur de prendre le public à rebrousse-poil. Pour lui, le public ne devait pas être durablement déstabilisé par un film, il devait tout en comprendre et ne plus avoir de question sans réponse à la sortie du cinéma. Il regrettait ainsi d'avoir terminé son Enfant Sauvage sur une phrase qui ne ressemblait pas à une conclusion ("Eh bien, commençons", je crois, ou quelque chose d'approchant), ce qui n'est tout de même pas d'une innovation révolutionnaire. À force d'exclure toutes ces sources d'interrogations, de doute, de perplexité chez le spectateur, éléments qui auraient certes pu déstabiliser celui-ci, François Truffaut a souvent renoncé à une psychologie plus réaliste de ses personnages, à une certaine profondeur. Ses films sont clairs, rassurants mais un peu lisses ; ses dialogues sont très bien écrits mais un peu artificiels. Digne héritier du récit de type balzacien, il a, volontairement, ignoré toutes les innovations dans la narration effectuées depuis le début du XXème siècle. C'est toutefois moins marqué dans les films qu'il a tournés avec Jean-Pierre Léaud, des 400 coups à L'Amour en fuite en passant par La Nuit Américaine. Est-ce dû au talent et à la présence de l'acteur ? à la liberté relative que lui accordait Truffaut ? Toujours est-il que Léaud insuffle un souffle de vie dans les films de Truffaut dont il partage l'affiche, faisant de ceux-ci mes préférés dans la filmographie de ce réalisateur.

Jean-Luc Godard ne réalise pas ses films avec autant de soin. Il n'hésite pas à tourner Deux ou trois choses que je sais d'elle en un mois pour satisfaire une contrainte de calendrier. Considérant que le métier de réalisateur se perd en cas d'inactivité, il ne cesse de tourner, enchaînant les films sans jamais s'arrêter. Ses films ayant peu de succès, ses budgets diminuent et ses conditions de tournage sont plus économiques.

Si François Truffaut a peur de déstabiliser, lui s'évertue à faire quelque chose qui n'a jamais été fait avant. Il court ainsi le risque de frôler parfois la nouveauté gratuite et de perdre plus d'un spectateur en route mais cela lui permet de réaliser des films qui ne ressemblent à rien de connu, ni aux œuvres de ses contemporains, ni à ses propres œuvres plus anciennes. Suivre une intrigue linéaire avec des personnages clairement caractérisés sur le plan psychologique ne l'intéresse guère. Il préfère aborder ses sujets par touches successive, au fil de séquences dont le lien narratif n'est pas toujours évident. Si François Truffaut veut éviter que le spectateur sorte du cinéma avec des questions sans réponse, Godard cherche au contraire à déstabiliser le spectateur, à lui faire modifier son regard, lui pose des questions ouvertes sur la politique (l'engagement et la révolution, notamment dans La Chinoise), la société (la place de la femme, dans Vivre sa vie ou Une Femme Mariée, entre autres, ou la société de consommation, dans Week end), la création (par exemple dans One + One), l'art, le cinéma, etc. Cinéaste pour cinéastes ou au moins pour public averti, son influence et son aura chez ses collègues grandit alors même que son succès public décroît.

Où qu'aille la préférence de chacun, les relations entre les deux frères ennemis de la Nouvelle vague, l'habile raconteur d'histoires et l'artiste révolutionnaire, feront encore couler beaucoup d'encre...

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