dimanche 2 octobre 2011

(vue d'artiste), de Francis Masse (2011)

La carrière de Francis Masse dans la bande dessinée a quelque chose de fulgurant : brève mais intense.

Dans les années 1970 et 1980, les histoires courtes et absurdes de Francis Masse étaient publiées dans toutes les meilleures revues de bande dessinée ‘underground’ : l’Écho des Savanes (celui de Mandryka, qui n’a pas pratiquement rien à voir avec le revue actuelle du même nom), Métal Hurlant, Fluide Glacial, etc. On pouvait même lire ses pages de l’autre côté de l’Atlantique, dans la prestigieuse revue Raw d’Art Spiegelman et Françoise Mouly... L’humour si spécifique de Francis Masse, avec une bonne dose de ‘nonsense’, des ressorts comiques variés, allant des gags muets en une planche en récits plus longs saturés de texte, le dessin en noir et blanc mélangeant ‘gros nez’ contemporains et citations de gravures anciennes (ah, le charme de la "Venise sèche" des Deux du balcon), faisait merveille. Dans les années 1980, cet auteur hors norme s’est stabilisé, éditorialement parlant : il avait trouvé en À suivre un havre accueillant pour ses planches hors normes. Il y a publié en prépublication un de ses plus grands chefs-d’œuvre, Les Deux du balcon (imaginez un couple de Laurel et Hardy dissertant de mécanique quantique et de théorie de l’évolution ou de météorologie planétaire dans une pseudo-Venise de gravure…), La mare aux pirates et de nombreux récits courts. À la fin des années 1990, probablement lassé par l’incompréhension qu’il rencontrait hors d’un cercle réduit d’admirateurs, Francis Masse arrêtait la bande dessinée... En 2007, nous eûmes droit à une bonne surprise : ses récits inédits publiés dans À Suivre furent enfin collectés dans un nouveau recueil, L’Art Attentat.

Cette année, une nouvelle excellente surprise est arrivée : Francis Masse publie en nouvel album, (vue d'artiste) ! Masse est fasciné par la science et ses découvertes les plus récentes. Elle n'est pas, pour lui, une matière aride aux équations absconses mais une source infinie de poésie et de rêveries sans fin. De l'infiniment petit à l'infiniment grand, les mystères de la science constituent pour Masse l'origine d'émerveillements toujours renouvelés... Poète de la science, pourquoi pas ? Mais cet auteur pousse le défi jusqu'à vouloir faire partager ces sentiments en dessinant des bandes dessinées ! Déjà, dans Les Deux du balcon, ses deux personnages dissertaient pendant quelques pages sur certaines théories scientifiques, de la météorologie à la mécanique quantique. Et les découvertes les plus complexes devenaient sources d'éclats de rire !

Dans (vue d'artiste), Francis va encore plus loin : tout l'album relate les mésaventures de deux trous noirs (a-t-on déjà vu plus original, comme personnages de bande dessinée ?) et l'essentiel du discours est consacré à la cosmologie : désaccord de la relativité générale et de la physique quantique, Big Bang, théories des Cordes et des Boucles, etc. En se consacrant ainsi à un sujet unique, Francis Masse laisse une part plus belle aux explications scientifiques et moindre à l'humour : on appréhende mieux les richesses des théories scientifiques abordées, mais on rit probablement moins que dans Les Deux du balcon. Une autre ambition un peu folle de Francis Masse, dans cet album, est de tenter des représentations graphiques de quelques mystères de la science, des "vues d'artistes" (d'où le titre de l'album). Ses dessins (tout l'album est en couleurs directes) de la dualité onde/corpuscule ou de l'opposition entre la théorie des Cordes et celle des Boucles, par exemple, sont tout bonnement fascinants.

Avec cet album que l'on n'attendait plus Francis Masse repousse encore une fois les limites de la bande bande dessinée, tant graphiquement que par le sujet abordé. Il n'élargira, malheureusement, probablement pas beaucoup son lectorat mais nous livre un chef-d’œuvre inclassable et absolument hors norme.

N.B. : Au même moment, Les Deux du balcon sont réédités, chez Glénat, et non pas chez Casterman comme pour l'édition originale. Je ne peux m'empêcher de noter au passage que la "prestigieuse" maison d'édition Casterman, après avoir massacré quelques traductions dans sa collection Eacute;critures, avoir maltraité quelques classiques au gré de rééditions plus que hasardeuses, comme celles des Corto Maltese, abandonne maintenant certains des albums les plus prestigieux de son catalogue...

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