mardi 27 décembre 2011

Kamui-Den, tome 3, de Shirato Sanpei (1967-1969)

J'ai déjà écrit beaucoup de bien de Kamui Den, après la lecture du premier volume de cette série de quatre. J'avais évoqué différentes qualités de cette somme romanesque : l'aspect épique, la technique narrative originale et riche en digressions, enfin le dessin fantastique, couvrant un vaste panel de registres, de vastes paysages enchanteurs à des scènes de combat effrénées...

Mais cela ne suffit nullement pour donner la réelle mesure du talent de Shirato Sanpei. Après la lecture du troisième volume, que je viens d'achever, je souhaite insister sur un point qui m'a encore fortement marqué dans cet avant-dernier tome. Avant même de raconter des récits palpitants, de mettre en scène des personnages attachants, l'auteur cherche à dénoncer un système social, celui mis en place par les shoguns à l'époque Edo (1603-1868), et, plus largement, à mettre en lumière les mécanismes d'oppression en vigueur à cette époque comme à bien d'autres...

Je ne suis pas spécialiste de l'histoire de cette période mais la peinture qui en est faite me paraît tout à fait vraisemblable. En suivant des personnages représentatifs de toutes les classes sociales du Japon rural d'alors, parias, paysans, marchands, rônins et seigneurs féodaux, Shirato Sanpei parvient à nous dépeindre l'ensemble du système social de façon très convaincante. On découvre ainsi les devoirs et les fardeaux de chacune de ces classes et l'habilité avec laquelle les dirigeants parviennent à maintenir en place un statu quo pourtant injuste et écrasant pour la majeure partie de la population. L'antagonisme soigneusement entretenu entre les paysans et les parias, l'obligation faite aux seigneurs féodaux de résider un an sur deux à Edo (ce qui les détachait de leurs terres et les forçait à dépenser une part importante des revenus de leurs domaines à Edo) font ainsi partie des moyens mis en place par les dirigeants pour conserver leur emprise sur leur peuple, à tous les échelons. On observe néanmoins la montée en puissance de la bourgeoisie, qui dispose du pouvoir du commerce et de l'argent, selon des phénomènes apparemment similaires à ceux existant en France avant la Révolution. Dans ce troisième volume, on continue à suivre les développements des techniques agricoles de l'époque et on assiste à une crise économique grave dans le fief de Hioki : en quasi banqueroute, le seigneur décide d'émettre sa propre monnaie, qui n'est plus convertible avec celle du shogunat, ce qui conduit à de tragiques épisodes d'inflation galopante...

Cette œuvre monumentale nous permet donc d'avoir une vue d'ensemble des mécanismes socio-économiques existant à l'époque, souvent très proches de ceux en vigueur actuellement... Je connais très peu d’œuvres embrassant ainsi, et avec une telle réussite, l'ensemble d'une société pour en critiquer les travers et en mettre en lumière les phénomènes d'oppression. En fait je ne vois guère que la saga des Rougon-Macquart, d'Émile Zola, pour nous procurer une telle vision. Kamui-Den est décidément une fresque très réussie esthétiquement et sur le plan narratif et un outil de réflexion extrêmement riche sur les aspects oppressifs des sociétés d'alors et d'aujourd'hui.

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