vendredi 8 février 2013

Les mystères des différentes versions de Barbarella, de Jean-Claude Forest

En lisant L'Art de Jean-Claude Forest ou certains messages du blog Dans la bulle, j'avais appris que les aventures de Barbarella avaient connu plusieurs versions, au moins le premier épisode. Mais ce n'est qu'après avoir lu l'intégralité de la version originale de ce premier album, publié en 1964 au Terrain Vague, que je me suis rendu compte de l'ampleur des modifications (en fait il ne s'agit pas tout à fait de la première version, puisqu'elle comprend déjà des variations par rapport à celle publiée en 8 épisodes dans V Magazine entre 1962 et 1964 ; elle passe notamment de 64 à 68 planches ; il semble également que Barbarella soit plus habillée dans V Magazine).

Faisons donc le point sur ces évolutions. La première édition était en bichromie (avec une couleur différente pour chaque épisode) et Barbarella s'y dénudait déjà souvent. Les éditions suivantes furent celle publiée par Losfeld en 1968, au moment de la sortie du film de Vadim, avec Jane Fonda dans le rôle titre. Il y eut ensuite les rééditions chez Dargaud, en 1982, puis aux Humanoïdes Associés, en 1994. À part quelques changements mineurs, on compte trois versions significativement différentes : celle de 1964, celle de 1968 et une troisième ; pour cette dernière, je pense que les retouches datent de la réédition chez Dargaud, mais comme je ne connais pas l'album de Dargaud, je n'en suis pas absolument certain...

L'essentiel des modifications sont bien synthétisées dans les trois versions du premier dessin du septième chapitre (page 53), comme on peut le voir dans le montage ci-dessous, que j'ai emprunté au blog Dans la bulle, dont je parlais déjà plus haut.

Entre les versions de 1964 et de 1968, les couleurs changent et, surtout, Barbarella est souvent rhabillée (on surfait sur le succès du film aux États-Unis et il ne fallait probablement pas effaroucher les lecteurs anglo-saxons) : des traits discrets ont été ajoutés pour suggérer des culottes et des soutiens-gorges chaque fois que l'on voyait les fesses ou les seins de l'héroïne. Jean-Claude Forest a opéré des retouches bien plus significatives pour la version suivante : les sous-vêtements ajoutés en 1968 ont été supprimés, le volume des seins et des fesses de Barbarella a augmenté, les mains qui cachaient parfois partiellement sa nudité ont été effacées. La bichromie a été abandonnée pour laisser la place au noir et blanc. La couleur permettait de donner un certain volume au dessin ; pour pallier son abandon, Forest a abondamment hachuré ses dessins et noirci certains arrières-plans. Enfin, le visage de Barbarella a été systématiquement modernisé (chaque fois qu'il était vu de suffisamment près en tout cas) pour qu'elle ressemble davantage à ce qu'elle était dans le 3e volume de ses aventures (Le Semble Lune) : il devient moins fin, l'aile du nez est plus visible, le menton est moins pointu, un peu plus massif, les cheveux sont moins abondants mais gagnent en volume ; Barbarella y gagne en maturité.

Parmi d'autres changements moins notables, on peut noter, comme on le voit sur les deux dessins ci-dessous que la chevelure des jeunes premiers gagne aussi en volume.

Certains costumes de Barbarella ont été redessinés. Au lieu de changer de tenue, elle a presque toujours la même combinaison intégrale, qu'elle aura aussi dans les albums suivants.

En voyant ceci, je me suis posé deux questions : Quelle est la meilleure version, en tout cas celle que je préfère ? La réponse n'est pas aisée. Dans la version de 1964, Jean-Claude Forest est encore sous l'influence des dessinateurs français de la presse de charme, ses collègues de V Magazine notamment. Le dessin, certains costumes en particulier, peuvent sembler un peu datés. En outre il a dessiné cet album à une époque de forte activité pour lui et certaines planches souffrent sans doute d'une trop grande rapidité d’exécution.

Cette version initiale a cependant globalement beaucoup de charme, un peu désuet parfois. La version de 1968, tout en rhabillage, présente peu d'intérêt particulier. Dans celle de 1980, modernisée, certains gros plans de Barbarella ont perdu beaucoup de charme, comme on peut le voir sur la case ci-dessous, extraite de la page 45.

Le plus grand défaut de la version des Humanos (je ne sais pas si c'est la même chose pour celle de Dargaud) est la mauvaise qualité de l'impression. Est-ce dû à la suppression des trames, à un excès de hachure, au passage d'une version couleurs chez Dargaud à une version N&B aux Humanos, ou tout simplement à une mauvaise impression ? toujours est-il que les noirs manquent énormément de netteté ; le dessin paraît souvent confus, la lecture en est même parfois légèrement difficile. Quelle différence avec de bonnes reproductions des originaux de Forest ! Quel gâchis !

Et la deuxième question est la suivante : ces modifications ne sont jamais explicitement mentionnées dans les albums, l'impression rend la lecture plus confuse et parfois difficile ; quelle est la responsabilité de Forest là-dedans ? Ces modifications lui ont-elles été imposées par des éditeurs peu scrupuleux ? A-t-il accepté pleinement certains de ces défauts qui ne rendaient pas du tout justice à son immense talent de dessinateur en général et d'encreur en particulier ? Je n'en ai aucune idée...

P.S. de juillet 2014 : pour plus de détails sur les évolutions des différentes versions du premeir album, on pourra se reporter ici.

4 commentaires:

  1. D'accord pour préférer la version Terrain Vague 64, la seule, la vraie !!!

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  2. On m'a déjà dit qu'il était payé à la retouche.

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  3. Merci beaucoup pour cette focalisation, simple accessible et il intelligente.
    Pour un néophyte comme moi, c'est un n vrai plus.

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  4. Merci beaucoup pour cette focalisation précise, claire et intelligente.
    Pour un néophyte comme moi, c'est un vrai avantage.

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