dimanche 24 février 2013

Michelangelo Antonioni et la critique

Michelangelo Antonioni est considéré depuis les années 1960 comme un des principaux représentants du cinéma moderne européen (avec Alain Resnais, Jean-Luc Godard et quelques autres). Son œuvre des années 1960, de L'Avventura au Désert Rouge, notamment, a particulièrement marqué les esprits. Fort de cette reconnaissance, et craignant de se répéter, il a donc filmé quelques films très différents après ces chefs-d’œuvre de la première moitié des années 1960.

Cependant la critique n'a pas forcement apprécié ce renouvellement de l'œuvre à sa juste valeur et son appréciation de l'ensemble de l’œuvre est restée en très grande part, encore maintenant, focalisée sur les qualités les plus marquantes des films jusqu'à L'Eclipse, passant très souvent à côté des qualités non moins marquantes qu'Antonioni a développées ensuite.

Je viens ainsi de terminer un livre, par ailleurs assez intéressant, sur l’œuvre d'Antonioni. L'auteur évoque longuement le grand talent du cinéaste, en abordant notamment ses mouvements d'appareil longs et complexes et son mode de narration inhabituelle (Antonioni aborde souvent rapidement, voire omet complètement les événements qui seraient les points forts chez un autre cinéaste : pourquoi Anna a disparu dans L'Avventura, quelle est l'explication des intrigues pseudo-policières de Blow-Up ou d' Identification d'une femme, etc.). Le livre décrit également la vision d'Antonioni du sentiment amoureux, éphémère et instable ; sa psychologie phénoménologique (les personnages sont surtout connus par leur comportement, plus que par des explications psychologiques) ; les difficultés de communication entre les personnages, etc.

Tout cela est fort intéressant, bien entendu. Mais ne faudrait-il pas ajouter qu'Antonioni a ensuite délaissé les riches bourgeois italiens (avant de les retrouver 18 ans plus tard dans Identification d'une femme) pour décrire l'élan de la jeunesse mondiale de la fin des années 1960, notamment dans Blow-Up et surtout dans Zabriskie Point, qui est à mon avis un des films qui dépeint le mieux les déchirures de la jeunesse américaine de l'époque, entre pacifisme et révolte violente, entre consumérisme et rêve d'absolu ? Qui mieux que lui (et que Jean-Luc Godard dans La Chinoise) a réussi à dépeindre cet état d'esprit si profond mais caché aux yeux de l'Histoire derrière quelques manifestations extérieures particulièrement visibles, comme Mai 68 en France ?

Pour cette exploration d'un monde nouveau pour lieu, la jeunesse, le monde hors de l'Italie, Antonioni a utilisé de nouveaux moyens. Il a notamment donné plus de place à la musique, peu mise en avant dans ses films précédents. Dans Blow-Up, Herbie Hancock fournit la bande originale et le personnage principal assiste à un concert des Yardbirds, avec Jeff Beck à la guitare. Et, surtout, Zabriskie Point est un film avec une des meilleures bandes originales de l'histoire du cinéma (avec notamment 2001, Odyssée de l'espace). Pas parce que la musique est une des plus esthétiques en soi ; mais parce que la musique d'un film a rarement été mieux adaptée au récit, n'a quasiment jamais aussi bien soutenu le propos du réalisateur. Il faut revoir le ballet de la voiture et de l'avion dans le désert, la scène d'amour dans le désert, l'explosion fantasmée de la villa. Dans ces trois scènes, parmi d'autres, la musique renforce et soutient la narration de façon extraordinaire (il y a bien un chapitre sur les bandes sons d'Antonioni dans le livre que je viens de lire ; mais Zabriskie Point n'y est même pas abordé...). Il est intéressant d'ailleurs, de lire comment les Pink Floyd, qui ont écrit une grande partie de cette bande son, ont vécu l'expérience. Ils ont trouvé les directives d'Antonioni obscures ; ils l'ont ensuite observé monté leur musique, la modifiant donc, de façon unilatérale ; ils n'ont pas réellement perçu à quel point Antonioni partait de leurs compositions comme matière première pour en tirer une bande son parfaitement adaptée à son film... Sans être aussi marquante, la musique électronique d'Identification d'une femme vient soutenir la froideur des rapports humains, avec les lumières blafardes et le brouillard...

Dans tous ces films, Antonioni parvient de manière exemplaire à capter l'air du temps, mais sans sacrifier a la mode. Blow-Up et Zabriskie Point sont à la fois parfaitement datés et localisés mais n'ont pas pris une ride. Antonioni y a gravé la quintessence d'une époque sans sacrifier à des phénomènes de mode éphémères qui auraient été si vite dépassés. Après les difficultés de communication dans les couples de bourgeois italiens, Michelangelo Antonioni s'est réinventé au contact de la jeunesse mondiale. Il est dommage que relativement peu de critiques s'en soient rendu compte...

3 commentaires:

  1. Très intéressant. Il ne faut pas oublier non plus, quelques années avant "Identification d'une femme", "Profession reporter", un des plus beaux films que je connaisse.

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  2. Profession reporter est en effet un film extraordinaire également. Il me semble juste que la plupart des critiques ont eu moins de mal a l'appréhender avec les critères qu'ils utilisaient pour les films de la période italienne (mouvements d'appareils longs et complexes, notamment dans la magnifique scène finale, incommunicabilité entre les personnages, etc.). Mais cela n'enleve rien aux qualités du film, bien au contraire.

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  3. Je viens de voir Zabriskie Point, et ça reste, avant tout, une critique féroce du consumérisme américain, avec un peuple absent et un univers saturé de messages publicitaires.

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