vendredi 29 novembre 2013

Histoire d'un couple, de Yeon-Sik Hong (2013)

Il est des livres que l'on n'attend pas. Pourtant, en cette fin d'année 2013, je guettais avec impatience la sortie de nombreux albums : les deux livres de Baudoin, Universal War Two de Denis Bajram, la livraison annuelle de Love and Rockets des frères Hernandez, le deuxième tome de Nu-Mende Fabrice Neaud, le dernier Winschluss... Il s'agissait de livres dont je connaissais les auteurs et que j'atendais avec impatience. Rien de cela avec Histoire d'un couple. Avant de recevoir ce libre, je n'avais jamais entendu parler ni ce livre, ni de son auteur... D'un certain côté, c'est un peu normal. Yeon-Sik Hong est un auteur coréen (je ne suis pas sûr d'avoir jamais lu un livre coréen avant celui-ci...) dont c'est le premier album personnel ; il était spécialisé jusqu'ici dans le dessin de manhwas de commande.

La bande dessinée asiatique conserve de nombreux secrets à découvrir. Les mangas ont commencé à être abondamment publiés en français il y a une quinzaine d'années. Aujourd'hui, les rayonnages des libraires regorgent de mangas ; pourtant il semble que de nombreux albums classiques et œuvres d'auteurs restent à découvrir. Ainsi un chef-d’œuvre classique tel que Kamui Den, de Shirato Sanpei, n'a commencé à paraître en France qu'en 2010. Côté manga d'auteurs, les publications sont encore relativement rares. Je suis donc très reconnaissant aux quelques éditeurs exigeants qui nous font découvrir ce pan moins accessible de la bande dessinée asiatique. Ego comme X fait partie de ces éditeurs ; il nous avait déjà offert il y a quelques années L'Homme sans talent, de Yoshiharu Tsuge, et Dans la prison de Kazuichi Hanawa. Il nous permet aujourd'hui de découvrir ce très bel album coréen.

De quoi s'agit-il ? D'une histoire autobiographique d'une très grande simplicité. Yeon-Sik Hong, auteur de bande dessinée vivant d'albums de commande, et sa femme So-Mi, auteur également, décident un jour de quitter Séoul pour aller habiter loin de la ville. Ils s'installent donc loin de tout, à la montagne. Histoire d'un couple est le récit de la période, un peu plus d'un an, qu'ils passent dans leur maison montagnarde. Le récit qui en est fait ne relate pas de péripéties exceptionnelles. Yeon-Sik Hong trouve le ton juste pour nous conter des faits simples : le passage des saisons tout d'abord (chaque chapitre porte le nom de l'une d'entre elles) ainsi que les variations dans l'existence quotidienne du couple en fonction de l'évolution des saisons ; les difficultés et les doutes liés à son métier d'auteur (il est notamment régulièrement importuné par son éditrice qui lui réclame des corrections) ; ses doutes existentiels sur son travail (est-il prêt à se contenter de ses travaux de commande ou souhaite-t-il s'investir dans une œuvre personnelle ? a-t-il besoin de reprendre des études ?) ; les difficultés de l'existence à la montagne (le froid, l'isolement, les démélés avec d'importuns randonneurs) ; ses relations avec sa femme, notamment lorsque celle-ci, son ancienne élève, commence à avoir plus de succès professionnel que lui ; la redécouverte d'une vie plus simple et plus proche de la nature : les incessants problèmes d'argent, etc.

Le graphisme peut dérouter, au moins au début, le lecteur francophone : comme d'autres auteurs asiatiques (Shigeru Mizuki tout particulièrement), Yeon-Sik Hong allie en effet un certain simplisme dans le dessin des personnages et des animaux avec une grande attention accordée à la description de la nature, plantes et paysages.


En lisant cet album j'ai bien entendu pensé au Retour à la Terre, de Manu Larcenet et Jean-Yves Ferri. L'album de Yeon-Sik Hong aborde le même thème, mais de façon plus réaliste et avec davantage de sensibilité. J'ai également pensé à Printemps, Eté, Automne, Hiver... et Printemps, très beau film coréen, qui attache la même importance qu'Histoire d'un couple au passage des saisons et à la description de la nature évoluant tout au long de l'année.

Histoire d'un couple a donc constitué pour moi une très belle découverte, celle d'un livre plein de tendresse et de finesse, le récit simple et juste d'un couple amoureux confronté aux peines et joies quotidiennes d'une vie non citadine. Yeon-Sik Hong construit son histoire avec des petits riens ; mais contrairement à de nombreux auteurs contemporains (notamment dans les blogs), il ne cherche pas à les rendre attractifs en recourrant à un humour facile et à l'autodérision. Le récit puise son intérêt dans un art plus subtil, fondé sur la justesse des situations et des sentiments de ce jeune couple qui cherche à s'adapter au mieux à son nouvel environnement.

dimanche 24 novembre 2013

30 x 40 de Futuropolis : A la recherche de la liste complète...

On m'a récemment demandé si j'étais capable de fournir la liste complète des albums de la superbe collection 30 x 40 de Futuropolis. J'ai bien dû avouer que je n'en étais pas sûr...

Voici ceux que je suis parvenu à lister : - Masse;
- La Véritable histoire du Soldat Inconnu, par Tardi;
- Wrightson;
- Gir;
- Swarte;
- Le Roman de Renart, par Jean-Claude Forest et Max Cabanes;
- Jeff Jones;
- Bazooka Production;
- Crumb;
- Willem;
- L’Option Stavisky, par Götting;
- Baudoin (retitré Le Portrait lors de sa réédition à l'Association);
- Comix, par Moscoco;
- Don Quichotte, par Benito Jacovitti;
- Les Rêves du fou, par Chantal Montellier;
- Calvo;
- Salut!, par Vaughn Bodé;
- Pic & Zou, par Mix Mix;
- Poïvet;
- Charlie Schlingo;
- Miles Hyman.

J'en connais donc 21. Le Miles Hyman est probablement un des derniers car il date de 1993. Il est indiqué comme étant le vingt-deuxième de la collection. A priori, il m'en manque donc au moins un. Savez-vous le(s)quel(s) j'ai oublié(s) ?

mercredi 20 novembre 2013

Dans l'enfer des hauts de page, de Yann & Conrad (2013)

Les années 1970 constituent une période en demi-teinte dans l'histoire du Journal de Spirou. Ses pages étaient remplies en grande partie par un certain nombre d'auteurs, parfois relativement talentueux, mais qui étaient loin d'égaler leurs glorieux anciens, les pionniers qui avaient fait la gloire du journal dans les années 1950 et 1960 : Jijé, André Franquin, Morris, Peyo... Au début des années 1980, quelques jeunes loups arrivèrent, très admiratifs des gloires des années 1950 et 1960, beaucoup moins respectueux envers leurs aînés des années 1970. Plusieurs de ces jeunes auteurs avaient un talent certain, qui leur ouvrirait la voie d'une carrière à succès : Yann, Conrad, Hislaire, Frank Pé, etc. Le rédacteur en chef de l'époque, pour dynamiser le journal, leur laissa les clés de l'animation de l'hebdomadaire. Cela consistait notamment à dessiner quelques strips dans les hauts de page. Yann et Conrad s'en donnèrent à cœur joie. C'était l'époque où Yann se faisait remarquer par un humour corrosif qui ne respectait presque rien (l'antiracisme, l'homosexualité, les auteurs installés, tout y passait) ; c'était souvent très réussi. Conrad avait déjà son style très enlevé, digne héritier de Franquin, en plus incisif peut-être. Cela donna lieu à plusieurs centaines de strips très drôles qui s'en prenaient aux valeurs et aux auteurs traditionnels de l'hebdomadaire, en s'inspirant souvent de l'aventure du Trombone Illustré, pilotée quelques années avant par André Franquin et Yvan Delporte. Ces strips n'avaient jamais été collectés intégralement en album et méritaient amplement une publication en intégrale.

Une publication en intégrale, oui. Mais pas comme celle que vient de sortir Dargaud. Certes la couverture est cartonnée et l'impression de bonne qualité ; mais le soin apporté à ce livre s'est arrêté là. Pour le reste, l'éditeur s'est contenté du plus bas minimum. Cette intégrale reprend d'abord les pages de Huit mois dans l'enfer des hauts de pages, un opuscule très réussi édité par les éditions Schlirf dès 1981, qui relatait l'aventure de ces hauts de page avec quelques-uns des strips. Mais Dargaud édite les strips en plus petit (c'est parfois à la limite du lisible) et a même modifié un texte pour le mettre à jour, mais en laissant la signature de l'auteur original de ce texte, Yvan Delporte, pourtant mort aujourd'hui depuis des années. Le reste de l'intégrale Dargaud est constitué de la suite des autres trips (en en oubliant d'ailleurs quelques-uns) sans aucune contextualisation. Il aurait pu sembler utile au moins de regrouper les strips par numéro de Spirou, voire de signaler pour certains d'entre eux au-dessus de quelles pages ils étaient publiés, ce qui permet de mieux les comprendre. À l'extrême limite (mais là, je sais que je vais trop loin dans la mesure où cela aurait demandé de rédiger quelques textes ad hoc...), on aurait pu imaginer d'ajouter quelques courtes lignes pour décrire succinctement quelques séries dont aimaient se moquer Yann et Conrad, car certaines sont aujourd'hui un peu oubliées... Non, rien de tout cela.

Cela me rappelle un peu l'intégrale des années Pilote du Concombre Masqué, éditée également par Dargaud, que je lis en parallèle. La bande dessinée de Mandryka est bien évidemment exceptionnelle mais l’appareil critique est aussi indigent (ce qui est moins grave, certes, dans le cas du Concombre Masqué, car ses aventures se suffisent à elles-mêmes et ne requièrent pas nécessairement d'explications annexes). Fin de la parenthèse.

Je vous encourage donc à (re)découvrir ces hauts de page très amusants. Mais pas nécessairement dans l'album de Dargaud. On peut trouver en ligne sur Internet une intégrale plus complète de ces strips avec des commentaires de remise dans le contexte tout à fait pertinents...

dimanche 17 novembre 2013

Les enfants de Sitting Bull, d'Edmond Baudoin (2013)

Edmond Baudoin n'a plus rien à prouver. Il a montré qu'il est extrêmement doué à la fois en bande dessinée, en peinture et en illustration (que ce soit pour les romans de la collection Futuropolis-Gallimard, pour des recueils de poésie ou des livres pour enfants). Il maîtrise aussi bien le noir et blanc que la couleur. Il est publié par les plus grands éditeurs (Dupuis ou Gallimard) comme par les plus exigeants (L'Association, Les Requins Marteaux...).

Il peut donc faire ce qu'il veut et il le fait avec énormément de talent. Dans Les Enfants de Sitting Bull, il mélange, comme il le fait très souvent depuis quelques années, les styles (des couleurs directes à un dessin au trait en bichromie, en passant par la reprise de photographies), les modes de narration (des dessins légendés à une bande dessinée plus classique), les genres (de la biographie à la réflexion personnelle sur le sort des Indiens d'Amérique en passant par un pastiche).

Cet album est en fait composé de trois parties successives, presque indépendantes les unes des autres : le récit de la vie de son grand-père, un rappel de quelques rencontres avec des Indiens lors de son séjour de trois ans au Québec, un pastiche de bande dessinée western dans le style des petits formats bons formats mais avec un Indien comme héros à la place de l'éternel cow-boy. Ces trois récits entrent en résonance avec de nombreux albums précédents de Baudoin : l'histoire du grand-père, aventurier niçois ayant navigué dans le monde entier, cherché fortune en Amérique, côtoyé Buffalo Bill et Sitting Bull, construit des gratte-ciel, avait déjà fait l'objet d'un récit, moins détaillé dans un Patte de Mouche à l'Association, Made in USA. Les trois ans passés comme professeur au Québec avaient déjà fait l'objet de plusieurs albums, Le Chemin de Saint Jean, Les Essuie-glace, Le Chant des baleines. Le pastiche des petits formats nous ramène aux années d'enfance d'Edmond Baudoin, évoquées dans Piero...

Ces trois récits sont évoqués sous un angle un peu différents que dans les albums sus-cités. Ce qui les réunit aujourd'hui est le sort réservé aux Indiens d'Amérique, thème qui tient particulièrement à cœur de l'auteur. Il mène d'ailleurs actuellement une campagne sur Internet pour défendre la forêt des Indiens Ashaninkas du Pérou.

On retrouve là toute la force d'Edmond Baudoin : il met tout son talent au service de ses généreux engagements, sans pour autant tomber dans le prêche ou la naïveté excessive. Son dernier album est à la fois engagé et très réussi esthétiquement : de nombreuses pages sont magnifiques et les limites de la bande dessinée sont sans cesse explorées pour adapter au mieux le médium au récit.

Du même auteur, on peut signaler également la récente parution en un seul volume des trois albums en couleurs publiés chez Dupuis : Les Yeux dans le mur, Les Essuie-glaces, Le Chant des baleines. Le tout est maintenant réuni sous le titre Trois pas vers la couleur. Vient en outre de paraître à l'Association un récit de voyage dessiné avec Troubs, Le Goût de la terre.