mardi 19 juillet 2016

Time is Money, de Fred et Alexis (1969-1973, 2016)

La réédition de l'intégrale de Time is money, l'excellente série de Fred (plus connu comme auteur de Philémon) et d'Alexis (artiste virtuose, complice de Gotlib, dessinateur d'une première version inachevée du Transperceneige de Jacques Lob, décédé à 30 ans) constitue une très bonne lecture en ce début d'été : fraîche et relaxante, drôle et dépaysante.

Fred a mis un peu de temps à imposer son Philémon auprès des lecteurs : son imagination débridée et son dessin atypique perturbaient plus d'un lecteur de Pilote. Il a donc proposé pendant quelques années bien des scénarios à d'autres dessinateurs. Time is money est l'une de ces collaborations les plus réussies, à la fois pour l'originalité des récits et la qualité du dessin.

La série met en scène deux anti-héros : le professeur Stanislas, qui a inventé une machine à voyager dans le temps, et Timoléon, représentant de commerce. Ils essaient, en vain, d'utiliser la machine du professeur pour faire fortune : achat de la Joconde directement à Léonard de Vinci avant qu'il ne soit célèbre, vente d'armes à feu à Gengis Khan, les idées ne leur manquent pas mais échouent à chaque fois... Les scénarios de Fred sont très plaisants, même s'ils ont moins riches et inventifs que les chefs-d'œuvre qu'il écrivit par la suite. Le dessin d'Alexis, mélangeant avec beaucoup d'habileté réalisme et caricature, est superbe et parfaitement adapté à ces mésaventures loufoques. C'est la première fois que l'intégralité de ces histoires est publiée en album, et les livres reprenant quelques-uns de ces récits étaient épuisés depuis longtemps. La parution de cette intégrale est donc une excellente nouvelle !

(N.B. : On peut malheureusement noter que Dargaud accorde toujours aussi peu de soin aux intégrales qu'ils publient : le livre est publié en noir et blanc alors que les couleurs de la version d'origine étaient bien (mais cela permet de réduire significativement les coûts de fabrication) et l'appareil critique accompagnant l'ouvrage est très succinct, alors que les intégrales de Dupuis et du Lombard se signalent maintenant par des introductions très bien documentées et richement illustrées...)

dimanche 17 juillet 2016

Décès de Carlos Nine (1944-2016)

Carlos Nine, dessinateur argentin de bande dessinée (d' "historietas", comme on dit là-bas) vient de mourir. Il s'agissait d'un artiste vraiment hors-norme, dont l’œuvre constituait une surprise permanente.

Son univers était complètement surréaliste, peuplé de personnages difformes, de monstres grotesques et de femmes fatales aux proportions hallucinantes ; dans des décors délirants et évoluant en permanence. À ce titre, on peut considérer que certains de ses albums sont un savant mélange entre le Krazy Kat de George Herriman, du roman noir et de l'univers du tango...

Son œuvre publiée en France était relativement peu abondante mais recèle quelques superbes pépites, sorties depuis le début des années 1990 : Meurtres et Châtiments, Fantagas, Le Canard qui aimait les poules, Keko le Magicien, entre autres...

Il avait de multiples autres cordes à son arc, puisqu'il était également peintre, réalisateur de dessin animé, sculpteur (je dois avouer que je ne connais que très peu ces autres aspects de son œuvre multi-facettes).

Il faisait partie de cette école argentine de la bande dessinée, particulièrement florissante dans les années 1960 et 1970, représentée notamment par les grands noms que sont Alberto Breccia (même s'il était en fait uruguayen...), le scénariste Hector Oesterheld, Carlos Sampayo et Jose Muñoz, Horacio Altuna, Francisco Solano Lopez et bien d'autres.

dimanche 3 juillet 2016

2 suiveurs, de Lucas Méthé (2016)

On ne peut clairement pas reprocher à Lucas Méthé de dessiner toujours le même album, ni de manquer d'ambition. On pourrait presque, au contraire, trouver les objectifs qu'il se fixe trop ambitieux. Au moins ses albums, et 2 suiveurs peut-être plus que les autres, sortent des chemins battus.

L'objectif de ce livre est relativement clair, et le narrateur lui-même l'explicite dans la deuxième partie de l'album : "Raconte ce qu'on a vu, senti, compris..." lui enjoint son maître ; "Mais comment dire l'indicible...? ...Et figurer l'infigurable ?" " - Invente tout ! Mais que ça ressemble !..." "Et c'est ce que j'ai essayé de faire, cher lecteur..."

2 suiveurs est donc l'histoire du narrateur qui cherche sa voie. Il suit un maître, parfois non sans difficulté, lui-même en recherche également. Lucas Méthé essaie de dépeindre cette quête personnelle et philosophique en chacun de ses aspects : questions et doutes, relations avec les autres (jeune femme dont il tombe amoureux, voisins), errances dans la nature, essais artistiques. Mais comment dépeindre toutes ces interrogations, si générales et intemporelles dans leur principe (pourquoi vivre ? comment ? avec qui ?) et si particulières et personnelles dans les réponses que chacun y apporte ? Comment dépeindre la beauté d'un arc-en-ciel, la violence d'un orage, la douce froideur de la neige ? Comment dire la joie de comprendre enfin ce qu'un maître nous transmet ? La joie d'habiter un foyer que nous avons construit nous-mêmes ?

On retrouve dans cet album les doutes et les questions déjà présentes notamment dans le Journal Lapin du même auteur. Mais il va plus loin que dans ce précédent album et cherche cette fois-ci à partager avec nous les éléments de réponse qu'il a trouvés. Il le fait en adoptant un style très cartoon, en couleurs, proche de celui qu'il avait déjà utilisé pour sa fantasque Fantasiologie.

"Peindre la vie, ce rêve impossible, on ne peut que l'aimer" nous dit Baudoin depuis une trentaine d'années. Lucas Méthé essaie à son tour de dire l'indicible et de figurer l'infigurable... Bien entendu, il n'y arrive pas pleinement, mais cela valait le coup d'essayer.