mercredi 13 septembre 2017

L'Epinard de Yukiko, de Frédéric Boilet (2001, réédition 2017)

L'Epinard de Yukiko fait partout des nombreux chefs-d’œuvre que la disparition des éditions Ego comme x risquait de rendre indisponibles en librairies à court terme. C'est le premier à être heureusement réédité par un autre éditeur, en l’occurrence Les Impressions Nouvelles. Espérons que les nombreux autres livres magnifiques jadis édités par Ego comme x (du Journal de Fabrice Neaud à Histoire d'un couple, de Yeon-Sik Hong, en passant par des ouvrages de Xavier Mussat, Jean Teulé, Lucas Méthé et bien d'autres) seront également repris par d'autres maisons d’édition...

Concentrons-nous aujourd'hui sur L'Epinard de Yukiko qui est donc fraîchement réédité. Son auteur, Frédéric Boilet, est relativement peu prolifique (une petite douzaine d'albums en 34 ans...). Après trois albums "classiques", il opéra un virage radical dès 1987 et fut l'un des premiers auteurs à se consacrer à la "bande dessinée du quotidien", avec notamment Baudoin (Passe le temps est publié en 1982) ou, un cran en-dessous en terme de talent, Tito (dont le premier volume de Tendre Banlieue était publié en 1983). Ses récits n'étaient pas purement autobiographiques mais relevaient de plus en plus de l'autofiction. Et son dessin s'appuyait très fortement sur des photographies. Il devait donc surmonter les deux défis habituels de ce type de livres : comment rendre intéressants des récits soumis à la banalité d'un quotidien parfaitement "normal" ? et quel type d'encrage employer pour personnaliser un dessin s'appuyant sur la copie relativement fidèle de photographies ?

Pendant plusieurs années, Frédéric Boilet fut aidé par Benoît Peeters pour structurer le scénario de ses albums (36 15 code Alexia, Love Hotel, Tokyo est mon jardin, Demi-Tour) même si les péripéties rencontrées par un personnage auquel il donnait son visage s'appuyaient fortement sur des événements qui lui étaient arrivés (notamment sa découverte du Japon).

Dans L'Epinard de Yukiko, Frédéric Boilet est à la fois scénariste et dessinateur et il atteint un équilibre subtil et très réussi tant d'un point de vue graphique qu'au niveau du récit. L'histoire est simple : le personnage principal, qui a les traits de l'auteur, vit au Japon et y tombe amoureux d'une jeune Japonaise ; il décide de dessiner une bande dessinée sur leur histoire d'amour. Mais, en cours de réalisation de l'album, la Japonaise en question le quitte, laissant le personnage/auteur sans modèle. Il va donc devoir continuer le dessin de l'album avec une autre modèle. Cette intrigue simple permet de créer une habile mise en abyme puisque le changement de modèle est effectivement visible en cours d'histoire : un œil attentif s'apercevra ainsi que la Yukiko de la bande dessinée change de traits d'une page à l'autre...

Quant au dessin de Frédéric Boilet, il n'a probablement jamais été aussi réussi que dans cet album. Il abandonne en effet l'encrage épais, parfois un peu lourd de ses albums précédents (au moins jusqu'à Tokyo est mon jardin), pour adopter un encrage très léger, similaire à des traits de crayon, rehaussé de superbes nuances de gris. Le dessin gagne ainsi une grande légèreté, parfaitement adaptée à la description de moments furtifs, d'impressions fugaces et de dialogues primesautiers...